Ils vécurent ensemble douze ans, puis se séparèrent. Jane en avait assez des démons de Serge. Serge ne supportait pas l’infidélité de Jane. Leurs coeurs n’a pourtant jamais cessé de battre l’un pour l’autre. 30 ans après la mort de l’homme à la tête de chou, leur célèbre couple continue de fasciner.

Quand Jane claqua la porte du 5 bis, rue de Verneuil, à Paris, le cœur de Serge fit crac. L’été touchait à sa fin en cette mi-septembre 1980. L’air s’était refroidi, comme les sentiments de la petite Anglaise pour son pygmalion. Jane se faisait la malle avec Kate et Charlotte, pour rejoindre un beau gosse, le cinéaste Jacques Doillon, plus jeune, plus gai, plus lumineux que l’homme à la tête de chou. La rupture fut rapide, brutale, radicale. Peu de mots furent échangés entre les anciens amants, à quoi bon… Jane voulait faire vite.

Elle fuyait Serge, elle avait peur qu’il la rattrape comme par le passé par une de ces pirouettes verbales, son piège à minettes. Elle demanda aux filles de faire leurs valises, de ne prendre que l’essentiel. Elle, elle, avait jeté deux ou trois bricoles dans son panier en osier. Kate, l’aînée, hésita à laisser Serge seul. Elle craignait qu’il commette l’irréparable. L’auteur-compositeur était assis dans la cuisine, désarticulé, abattu. Elle alla lui parler et se souvient toute sa vie de son visage qui ressemblait à celui d’un môme ayant commis une énorme bêtise. Gainsbourg entendit des pas sur le palier, une voiture qui s’éloigne, puis le silence sombre et obsédant. Dans cette maison, vide désormais des rires et des cris de ses gonzesses, Serge s’effondra. Son cerveau allait éclater, son âme exploser. L’existence lui jouait un sacré tour. Il plongea dans l’alcool, sa maîtresse. Avec elle, c’était à la vie, à la mort. Ils se connaissaient par cœur et ne se tromperaient jamais.

© AGENCE / BESTIMAGELe couple Birkin/Gainsbourg s’était rencontré sur le tournage de Slogan en 1968.

Serge Gainsbourg va vivre son premier chagrin d’amour

Jane, elle, s’était retirée de ce lugubre trio. Elle s’était lassée de passer ses nuits à traîner sur les divans des boîtes de nuit, triste poupée de cire au bras de son alcoolique de compagnon. “C’est vrai qu’à la fin ça tournait en rond, c’était l’Elysée-Matignon tous les soirs avec les mêmes spectateurs, expliqua Kate au biographe de Serge, Gilles Verlant*. Jane n’en pouvait plus, elle avait l’impression d’étouffer”. La chanteuse ne supportait plus d’écouter les bribes de phrases de Serge, de plus en plus inaudibles. Gainsbarre le triste sire avait tué son double, Gainsbourg le magnifique. Entre les deux anciens amants, le dialogue de l’amour s’était mué en un monologue de soûlard. Pathétique. Ils rentraient au petit matin se coucher quand les petites prenaient le chemin de l’école. Serge cuvait, Jane réfléchissait. L’amour physique s’était étiolé, leurs corps ne jouaient plus la même mélodie des sens. Jane ne dormait plus, cherchant une solution à ce carnage. Elle était devenue l’ombre d’elle-même. Tout ça n’avait plus de sens.

“Je suis prise de vertige quand les choses vont mal, parce que c’est très difficile de ne pas les faire aller encore plus mal, confiait-elle. Quand vous sentez que vous commencez à perdre, vous perdez encore plus”. Jane s’installa d’abord à l’hôtel Hilton Suffren, dans le 15e arrondissement. Elle refusa de s’exprimer sur la séparation, son avocat lui conseilla de ne faire aucune déclaration. A ses proches, elle s’avouait malheureuse. Serge, lui, vivait son premier grand chagrin d’amour, à cinquante-deux ans. “Je sais qu’il est aussi violent et même plus que si j’avais vingt ans”. Sans Jane, il était perdu, mais il ne lui pardonnait pas d’avoir été infidèle. L’amour ne méritait aucune médiocrité, ni trahison.

© AGENCE / BESTIMAGESi proches, si fusionnels, ils avaient fini par se déchirer

“Ne pas vouloir ternir l’image de l’autre”

Une tentative de réconciliation fut quand même menée par Catherine Deneuve, qui persuada la chanteuse de revenir vivre avec Serge. Pendant une semaine, ils essayèrent de recoller les morceaux, en vain… Serge se réfugia trois jours chez Gérard Depardieu et épongea sa peine dans l’alcool. Il écouta de la musique, refusa les mains tendues, s’enferma dans sa solitude, les notes et le blues. Il s’enfonça (le coma éthylique était devenu son meilleur allié) et remonta doucement à la surface, il n’avait pas le choix : pour Charlotte, pour Kate, pour ses deux aînés, Natacha et Paul, il devait survivre. Il convoqua la presse et déclara, émouvant et sincère : “J’ai cru toucher le fond de la piscine et je me suis aperçu qu’il y avait un double fond. Je me retrouve tout seul dans cette garçonnière de milliardaire (…) Ce qu’il me faudrait : une fille de platine. J’ai eu une fille en or mais elle s’est tirée”.

En gentlemen du sentiment, il décida alors de prendre la responsabilité de la séparation. D’assumer tous les torts. “Jane est partie par ma faute, je faisais trop d’abus. Je rentrais complètement pété, je lui tapais dessus”. Il comprit qu’il aimait cette fille en or et qui l’aimerait toute sa vie. Désormais, il remplaça les insultes, les coups par le respect et la tendresse… “Une affection éternelle”, précisait-il. Il endossa le costume d’ange gardien. De loin ou de près, il surveillait et gérait la vie de Jane. Il l’installa pour un temps dans la maison de son ami Jacques Séguéla, villa Montmorency, à Paris. Il ne voulait que le meilleur pour son ex. “Il nous a pardonné à toutes de l’avoir quitté, expliqua Jane, aussi bien à Bardot qu’à moi. Il était très fidèle, il avait décidé de faire une image de nous que personne ne toucherait, une sorte de perfection, qu’on ne parlerait pas de trahison, non, c’était convenu, ça lui était insupportable, que moi j’avais sauvé ma peau et qu’il n’y avait pas de déshonneur à cela, il se disputait avec les personnes qui disaient du mal de moi, c’est très rare quand même, de ne pas vouloir ternir l’image de l’autre”.

© AGENCE / BESTIMAGEMalgré leur séparation, le couple était resté très proche

A l’amour, à la vie

Quand Jane décida de vivre avec Jacques Doillon, il donna son aval, refusa que Charlotte dise du mal du nouveau compagnon de sa mère. En se débarrassant du quotidien, leur relation s’était éclaircie, simplifiée même. Ils étaient ensemble, sans être ensemble. Paradoxe de l’émotion. Ils s’aimaient, mais à distance. Des complices pudiques. Deux ans après leur rupture, Jane accoucha de Lou. Elle demanda à Serge d’être le parrain de sa petite dernière. Il accepta immédiatement et couvrit Lou de cadeaux. “C’est Serge que j’ai appelé en premier de l’hôpital, se souvient Jane. Il a envoyé des jolies petites bottines rouges (…) des poupées, des étagères roses sur lesquelles il avait marqué au feutre “De la part de Papa 2”. C’était quelqu’un qui avait décidé de ne pas être absent. Quand je pense que j’aurais pu le perdre…”

Plus jamais ils ne se quittèrent, toujours là l’un pour l’autre, le désir en moins. Ils continuèrent de travailler ensemble, Serge offrit à Jane le magnifique album Baby Alone in Babylone, en 1984, qui la consacra chanteuse et pour lequel elle reçut le grand prix de l’Académie Charles-Cros. Il y mit en scène leurs sentiments sans fausse pudeur. Dans le studio d’enregistrement, Jane vit souvent Serge pleurer comme si il lui demandait pardon, encore et toujours. Dans la bouche de Jane, ses mots à lui comme autant de déclarations : “Con c’est con ces conséquences / C’est con qu’on se quitte / Faut se rendre à l’évidence / Ce soir on est quitte… ». Ou encore : « Fuir le bonheur de peur qu’il se sauve…” et : “Pardonne-moi petite Jane / Je m’en vais je veux refaire ma vie”. Par textes et voix interposés, ils se sont expliqué, murmuré leurs émotions, d’accord sur l’essentiel : leur amour à jamais éternel.

Jane Birkin a rendu Serge Gainsbourg immortel

Ils ne reviendront plus sur le passé, étoufferont le fameux “Et si seulement si… “, porte ouverte sur des retrouvailles impossibles. A l’époque, Jane confiait : “L’amitié que j’ai avec Serge aujourd’hui est un soulagement parce qu’en le quittant j’ai perdu quelque chose d’essentiel. (…) Il a été toute une vie pour moi et il le restera à jamais”. Serge vécut avec Bambou, Jane avec d’autres hommes, mais leurs liens ne se brisèrent jamais. Deux mois après la mort de Serge, le 13 mai 1991, sur la scène du Casino de Paris, elle reprit Je suis venue te dire que je m’en vais. Le public était en larmes, Jane au bord du précipice… Depuis, dans l’imaginaire collectif, Jane est devenue la veuve de Serge. Un couple qui fascine toujours autant, 30 ans après la mort du chanteur. De concert en concert, de reprise en reprise, elle a rendu Serge immortel. Un amour sans feinte.

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* Gainsbourg (éd. Albin Michel).

Crédits photos : DANIEL ANGELI / BESTIMAGE