Les 70 ans de Pedro Almodóvar, fêtés ce 25 septembre, sont l’occasion de revenir sur la carrière du cinéaste espagnol. Entre son engagement et son amour pour les femmes, décryptage du cinéma d’une figure incontournable de la Nouvelle vague espagnole.
1. Pedro Almodóvar sur le plateau de Julieta (2016)
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© El Deseo – Manolo Pavón
UN CINÉMA EXTRAVAGANT MAIS EXIGEANT
Passionné du septième art depuis son enfance passée dans La Mancha, Pedro Almodóvar s’est très vite installé à Madrid dans l’idée de poursuivre des études dans ce domaine. Mais Franco fait fermer l’école de cinéma dont il rêvait tant. Un mal pour un bien pour le cinéaste qui va apprendre les rudiments du métier de réalisateur de manière autodidacte en s’offrant sa première caméra super 8 grâce à des petits boulots. Très touche à tout, il s’épanouit en travaillant pour une compagnie de théâtre, en écrivant pour des revues underground et en évoluant dans le milieu punk rock.
Sa vie de bohème, qui l’amène à côtoyer diverses couches des milieux populaires et des groupes de contre-cultures, va grandement l’inspirer dans l’écriture de ses films. Après quelques courts-métrages, Pedro Almodóvar se lance sur grand écran en 1980 avec son premier long sorti en salle, Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier qui provoque autant qu’il enchante. Bien qu’ancrés dans le réel, les personnages qui sortent de son imagination possèdent une aura folklorique et un côté burlesque poussés au maximum.
Mélangeant pastiches, mélodrames, thrillers et comédies, les films du cinéaste espagnol trouvent leurs inspirations dans le cinéma de Luis Buñuel, Jacques Demy, Alfred Hitchcock ou encore Ingmar Bergman. Pedro Almodóvar emprunte leurs codes mais y apporte sa vraie patte et se distingue très vite dans le milieu cinématographique par son travail et son engagement. Il permet l’émergence de la Movida, nouvelle vague espagnole qui a contribué au vent de modernité et de libération des mœurs qui a soufflé sur l’Espagne après la fin de la dictature franquiste.
LE GOÛT DU JEU ET DE LA PROVOCATION
Dans tous ses films, Pedro Almodóvar met en scène des personnages forts et provocants, exclusivement des femmes, des drag queens, des lesbiennes et des masochistes, qui évoluent dans un récit rocambolesque entre drame et joie. Comme dans un théâtre de marionnettes, les personnages du cinéaste espagnol se confrontent dans l’émotion et l’humour avec beaucoup d’exagération. Que ce soit dans Parle avec elle, Volver, Julieta ou Les Amants passagers, ses acteurs et actrices se glissent totalement dans la peau de leurs personnages et s’amusent avec eux.
Leurs personnalités hautes en couleur les font entrer dans une folle danse, entre regards passionnés et joutes verbales bien senties, sous l’œil bienveillant de Pedro Almodóvar. Les personnages jouent aussi avec la notion de travestissement et font souvent tomber le masque à la fin du film, à l’image de La Mauvaise Éducation, La Piel que Habito ou Talons aiguilles. Par ailleurs, la mise en scène du cinéaste est très entraînante grâce aux plans qui se répondent et rendent ses films très rythmés. Il est difficile de s’ennuyer ou de rester indifférent face à un film du cinéaste espagnol.
Mais derrière cette image exubérante et corrosive se cachent des problématiques plus profondes que Pedro Almodóvar décrit avec justesse. Il s’intéresse aux instincts et aux sens primaires de l’être humain lorsqu’ils sont confrontés à la réalité brutale (viol, inceste, meurtre, inégalité, identité sexuelle, morale). Ses thèmes de prédilection sont l’amour, la mort, la filiation mais aussi et surtout le désir. Ce n’est pas pour rien que la boite de production du cinéaste, qu’il a fondé avec son frère Agustín, s’appelle El Deseo (le désir, en espagnol).
L’ESPAGNE ET SES COULEURS CHAUDES
Très fidèle à son pays d’origine qu’il a aidé à s’émanciper à travers son art, Pedro Almodóvar a toujours tourné dans sa langue natale et dans la péninsule ibérique. Cela n’a pas empêché son cinéma d’être très apprécié à l’international, surtout en Europe et particulièrement en France où il a été récompensé par trois Césars du meilleur film étranger et nommé président du jury du 70ème Festival de Cannes. Son dernier film, Douleur et Gloire, faisait parti des favoris pour la Palme d’or cette année.
Toutefois, le cinéaste se sent plus à l’aise dans sa zone de confort et réussit toujours à retranscrire les maux de son pays. Un film d’Almodóvar est reconnaissable notamment par sa palette de couleurs vives et chaudes et il n’y a qu’en Espagne qu’il peut trouver cette colorimétrie si unique et flamboyante qui lui correspond tant. Ses films, proches d’œuvres picturales, sont très mouvants et jouent avec de nombreuses symboliques et des effets bariolés.
Pedro Almodóvar exprime toujours sa vision de la culture espagnole dans ses films en faisant de nombreuses références aux arts et aux métiers du spectacle du pays. Les bandes son de ces films, savamment choisies, nous transportent dans ses contes éclectiques et souvent contestataires, qui apportent une autre image de l’Espagne. Le cinéaste iconoclaste, dont le goût de la narration lui vient de sa mère Francisca Caballero, est l’un des meilleurs représentants artistiques de la péninsule ibérique et lui fait honneur depuis qu’il a commencé sa carrière, il y a presque 40 ans.
UN AMOUR INCONDITIONNEL POUR SES ACTRICES
Le cinéaste espagnol a toujours mis les actrices au premier plan dans ses films en leur offrant des rôles uniques et cathartiques, les plaçant même dans des postures de Madone. Elles réussissent tant bien que mal à s’extraire de la dangerosité des hommes et du patriarcat. Parmi les muses de Pedro Almodóvar, on retrouve Carmen Maura, Pénélope Cruz, Victoria Abril, Marisa Paredes ou encore Rossy de Palma. Entouré de ses actrices fétiches, de ses histoires fantasques et de sa mise en scène chaude et théâtrale, Pedro Almodóvar s’est fabriqué tout au long de sa carrière un cocon rassurant pour exercer le métier de réalisateur, une place qui lui permet d’être lui-même comme il le confiait lors d’une lecture annuelle aux BAFTA à Londres.
Selon Hollywood Reporter, le cinéaste espagnol voit le réalisateur comme un ami, un amant, un psychiatre, un père ou une mère mais surtout “un miroir pour ses acteurs”. C’est pourquoi il reste entouré d’actrices et d’acteurs de confiance qu’ils dirigent avec amour. Pénélope Cruz parle volontiers du réalisateur comme faisant partie de “sa famille”. Dans un entretien avec Madame Figaro, l’actrice espagnole s’est confié sur sa relation avec le cinéaste : “Ce que j’aime dans les films de Pedro, c’est l’image qu’il donne des femmes. Il les rend belles, fortes, essentielles. Quel que soit leur rôle – épouses, maîtresses ou prostituées.”
Je l’ai toujours considéré davantage comme une figure politique qui décortique la société que comme un directeur de film. J’ai toujours aimé la liberté qui émane de ses récits et qui fait de ses films des œuvres universelles. Si je suis pour Pedro la Sophia Loren espagnole, pour moi, il est le Fellini ibérique.
Si ce sont surtout les actrices qui l’inspirent, Almodovar compte tout de même deux acteurs récurrents dans ses films, à savoir Javier Bardem et Antonio Banderas. Il a d’ailleurs choisi ce dernier pour l’incarner dans Douleur et Gloire, son dernier film quasi autobiographique. Ce chef d’œuvre, porté avec passion par Banderas, permet au cinéaste espagnol de se révéler dans toute sa vérité. Il ne se cache plus derrière les masques de ses personnages mais dévoile ses secrets, ses doutes et ses faiblesses. Pedro Almodóvar prouve une nouvelle fois qu’il se livre totalement avec ses films, une intention sincère et incandescente qui a toujours su toucher le public.
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